Le boom ferroviaire CHINE-EUROPE
- Par alain escaffre
- Le 18/05/2021
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La signification historique et géopolitique du développement logistique eurasiatique : la terre et la mer à l’époque de la globalisation
Géographiquement, l’Eurasie est le supercontinent reliant l’Europe occidentale de l’océan atlantique à la Chine. La France, l’Espagne, le Portugal constituent la pointe occidentale de cette masse terrestre mais grâce au tunnel sous la Manche, d’un point de vue ferroviaire, on peut associer le Royaume Uni à cet ensemble. Les géopoliticiens et les stratèges (Mackinder, Spykman, Brzeziński) opposent traditionnellement la puissance océanique, thalassocratique de l’île mondiale des Etats-Unis à l’Eurasie qui concentre l’essentiel des richesses et des populations mondiales et est aussi par ailleurs le cœur des grandes civilisations dont nous sommes les héritiers : perse, grecque, romaine, arabe, indienne, russe, chinoise... Sir Halford John Mackinder (1861-1947), un des fondateurs de la géopolitique, définit le Heartland comme le cœur de l’Eurasie dont la maîtrise de laquelle réside la puissance du monde. « Or, pour Mackinder, la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe se caractérisent par un nouveau basculement historique, au détriment de la mer et en faveur de la terre. La clé de ce retournement réside dans la combinaison de données politiques et techniques. D’une part (…) la Russie a soumis la steppe, c’est-à-dire le Heartland (…) D’autre part, les chemins de fer transcontinentaux ont commencé de bouleverser les données de la puissance terrestre, remplaçant le cheval et le chameau avec une mobilité multipliée, et restituant sa centralité au Heartland » (Philippe Moreau Defarges[4]).
Cette évolution qui profitait principalement à la Russie et à l’Allemagne inquiétait les puissances anglo-saxonnes et on peut analyser les conséquences de la première et de la deuxième guerre mondiales comme la reprise de contrôle du Heartland et la division du continent du continent pendant la guerre froide. La montée en puissance de la Chine et ses projets logistiques continentaux redonnent une importance centrale à l’Eurasie. La Russie coopère de plus en plus avec la Chine, l’Allemagne joue un jeu un peu ambigu de soutient atlantique apparemment sans faille contre le développement de Nord Stream 2, tout en étant très présente économiquement en Russie et en favorisant la coopération avec la Chine et enfin en défendant ses intérêts en Asie centrale. La conclusion le 20 décembre 2020 de l’accord d’investissement UE / Chine en fin de présidence allemande de l’Union en est un parfait exemple. Ursula von der Leyen a souligné que « sa » commission européenne était la première commission européenne « géopolitique » et il serait dans l’intérêt politique et économique d’une Union qui aspire avec le binôme franco-allemand Thierry Breton et Margrethe Vestagher mais aussi avec le président Macron et la présidente von der Leyen, à l’autonomie stratégique d’accompagner activement le développement logistique eurasiatique et non de le subir.
L’Eurasie comprise comme espace géographique, espace de civilisation et espace de développement économique terrestre intègre la globalisation, jusque là principalement maritime en lui donnant une nouvelle dimension et en proposant une alternative politico-économique diversifiée et multipolaire intégrant ce que le numéro de mars 2021 de la Revue Défense Nationale appelle « l’ère post-occidentale[5] » en prenant acte du constat de Samuel P. Huntigton : « L'Occident perdant de son influence, les idéologies qui symbolisent la civilisation occidentale passée déclinent… ». Il s’agit là d’un enjeu clé permettant de faire émerger une globalisation multipolaire et diversifiée face à une globalisation uniformisée présentant des velléités de centralisation.
Depuis plus de 500 ans, le commerce mondial s’est développé principalement sur les côtes. La plupart des grandes villes Paris, Londres, New York, San Francisco, Rome, Shanghai, Canton, etc. se sont développées grâce à leur proximité avec la mer au détriment des terres de l’intérieur. Avec ces nouvelles artères, les zones « noires » de l’Ouest chinois et de l’Asie Centrale auront leur chance d’être allumées. Vues du ciel, en plus des côtes, les terres de l’intérieur scintilleront également. Nous allons redéfinir la signification de l’expression « opportunité de développement » en entrant dans une nouvelle ère du développement économique et humain. La logique terrestre va disputer son rôle de primadonna à celle réservée jusqu’ici à l’océan. Les lignes ferroviaires pourront encore rouler plus vite lorsqu’on aura résolu les problèmes de largeur de rails hétérogènes. Des pays comme l’Espagne et la Russie avaient définis des largeurs de rails différentes pour des raisons de sécurité militaire afin d’empêcher des invasions rapides de leurs voisins. Avec des largeurs de rails identiques et les vitesses sensiblement augmentées les trains pourront circuler plus rapidement. Il est également possible de faire circuler des trains à deux étages, et un jour les passagers pourront également bénéficier des mêmes conditions. En direction de l’Amérique, en passant sous le détroit de Baring, les trains peuvent atteindre le Canada et de continuer leur course sur les terres américaines. Il n’est pas non plus impossible de voir arriver ces artères un jour en Afrique, à partir de l’Europe, voire vers Singapour dans le Sud.
La présidente la commission européenne Ursula von der Leyen s’est récemment félicitée d’avoir la première commission géopolitique. Le dossier des routes ferroviaires transcontinentales, comme celui de la stratégie numérique de Thierry Breton et Margrethe Vestager, sont des cas d’école de cette prise de conscience géopolitique pouvant permettre à l’Union Européenne de concevoir ces réseaux en fonction de ses intérêts propres et non de ceux de tiers afin que nous ne soyons pas le terrain de jeu de la Russie, de la Chine, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Les conditions sont réunies pour que le recentrage eurasiatique du monde profite aussi aux pays de l’Union Européenne mais pour cela nous devons abandonner l’irénisme consistant à voir le monde tel que nous le souhaitons pour le voir de nouveau tel qu’il est.
Cet article a été écrit par Henri de Grossouvre, président d’honneur de « Paris Berlin Moscou » en collaboration avec Alex Wang, président d’honneur de l’association Transition Ecologique et Solidaire Française et Chinoise, TESFEC
[1] « Entre la Chine et l’Europe, le fret mène grand train », Libération, Nelly Didelot, 10 février 2021.
[2] Ibid.
[3] La Clau, « Ferroutage, une nouvelle ligne Barcelone Perpignan Luxembourg », février 2019
[4] Philippe Moreau Defarges, Introduction à la géopolitique, éditions du Seuil, 1994, page 52.
[5] Revue Défense Nationale, mars 2021, « Sommes-nous entrés dans l’ère post-occidentale ? », voir notamment notre article « La nouvelle donne internationale, et les velléités de coopération UE-Chine », François Loos, Joël Ruet, Henri de Grossouvre, Fatima Hadj, Alex Wang, Jean-Claude Beaujour, page 83.
rançois Loos, Joël Ruet, Henri de Grossouvre, Fatima Hadj, Alex Wang, Jean-Claude Beaujour, page 83.